miercuri, 5 septembrie 2012

SIDI BOUZID KIDS : le scénariste Eric Borg répond a nos questions






Pourquoi vous êtes si interessé par la révolution tunisinenne?

Je suis né à Tunis où j’ai vécu mon enfance, d’origine tunisienne par ma mère, italienne et maltaise par mon père (Borg est un nom répandu à Malte). À ma naissance, la Tunisie avait déjà acquis son indépendance depuis quelques années et était présidée par Habib
Bourguiba, le despote éclairé, régulièrement réélu avec des scores  avoisinant les 99%, pourchassant, emprisonnant et torturant ses  opposants politiques, bâillonnant la presse… Ben Ali a en grande  partie poursuivi la recette de son prédécesseur Bourguiba… en lui
ajoutant une grosse dose de corruption et de détournement de bien  publics, aidé en cela par le clan de sa femme, les Trabelsi.

Comment vous avez eu l`idée de la bande dessinée “Sidi Bouzid Kids”?

J’étais à Tunis fin 2010 invité par le producers’ network des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) pour un projet de  documentaire de macompagne Kaouther Ben Hania, un film produit par notre société Who’z Prod. C’était un mois et demi avant l’immolation de Mohamed Bouazizi. Vraiment rien ne laissait présager ce qui allait se passer. Les portraits de Ben Ali étaient partout, la police omniprésente, comme à l’accoutumée. Les Tunisiens s’y étaient habitués. Je me souviens, il y avait à ce moment à Tunis un congrès de l’Organisation  de la Femme Arabe présidé en grandes pompes par Leila Ben Ali, et qui laissait clairement entrevoir les ambitions politiques de la première
dame de Tunisie… Encore plus de raisons pour être pessimiste sur l’avenir du pays. Déjà, la perspective des élections présidentielles de 2014 n’était pas réjouissante car Ben Ali s’apprêtait à se représenter  pour un sixième mandat consécutif, contrairement à ce qu’il avait  promis et à ce que permettait la constitution qui limitait à 75 ans l’âge  d’un possible candidat à la présidence. En août 2010, un appel de 65  personnalités tunisiennes était lancé exhortant Ben Ali à se représenter,  et à modifier en conséquence la constitution…

Facebook était une bouffée d’oxygène pour les Tunisiens, les langues  s’y déliaient avec beaucoup d’humour, comme avec les caricatures  impitoyables du dessinateur satirique Z qui sévissait sur la toile depuis  quelques années déjà. J’avais également écouté sur Facebook le  rappeur « El General » qui attaquait directement à Ben Ali dans ses  textes (notamment « Raïs lebled », en novembre 2010). Il y avait donc  l’expression d’un ras-le-bol, mais c’était très ponctuel, comme des  exceptions qui confirmaient la règle, celle du silence des masses….

J’ai suivi de très près les événements qui ont suivi le 17 décembre  2010, jour de l’immolation de Bouazizi à Sidi Bouzid, par mes attaches  personnelles à ce pays, et encore plus par celles de ma compagne qui  est elle-même native de Sidi Bouzid, cette petite ville oubliée de la  Tunisie profonde, qui passera à la postérité comme le berceau du printemps arabe.

J’ai commencé à conserver les photos et toutes les petits vidéos  postées sur le Net, filmées avec des téléphones portables, montrant les  premières manifestations à Sidi Bouzid, puis à Kasserine, les exactions  policières, les snipers… J’avais sans doute dans l’idée un projet à partir  de ça, mais c’était très vague : documentaire, film de fiction, BD… ? La  question ne se posait pas vraiment. J’archivais de toute façon, pour  constituer un corpus de témoignages, craignant que ces vidéos ne  soient rapidement censurées par le pouvoir et disparaissent à jamais.

Peu à peu la révolte s’amplifiait et le régime découvrait de plus en plus  son vrai visage, celui que ne voulaient pas voir les politiciens français,  de Frédéric Mitterrand à Michelle Alliot-Marie, celui d’une dictature  barbare. Avec Kaouther et de nombreux amis tunisiens, nous avons  suivi les événements 24h sur 24, sur Facebook relayé par les chaînes  satellitaires comme Al Jazeera mais aussi sur la télé nationale  tunisienne (TV7) avec les discours de Ben Ali et sa propagande  éhontée relayée par des journalistes aux ordres. Le 14 janvier a été une  journée incroyable. Voir cette foule de Tunisiens, hommes, femmes,  enfants, vieillards, avocats en robes… amassés devant le ministère de
l’Intérieur à crier à Ben Ali « Dégage ! », était complètement surréaliste.  Il faut savoir qu’habituellement, il était interdit de marcher sur le trottoir  devant le bâtiment du ministère avenue Bourguiba, il fallait traverser  pour passer sur le trottoir d’en face !

La fuite de Ben Ali le 14 janvier était digne des scénarios les plus fous,  comme la cerise sur un gâteau déjà grandiose ! J’avais donc là toute la  matière à un film ou un album de BD, à la fois une palette  d’événements incroyables s’enchaînant à un rythme fou et de larges  zones d’ombre permettant à l’imagination de prendre le relais. J’ai écrit  très vite une première version de l’histoire, que j’ai affinée dans les  semaines qui ont suivi, améliorant la narration et corrigeant certaines parties à la lumière de nouvelles révélations journalistiques ou  judiciaires. Dans cette période très passionnelle, les rumeurs vont vite
et se contredisent sans cesse, il faut donc croiser le maximum de s ources pour arriver à y voir plus clair…

Alex Talambă et Eric Borg au Salon du livre, Paris, mars 2012

Pourquoi vous avez choisi Alex Talamba, un dessinateur roumain,  pour mettre en dessins votre scénario?

Parallèlement je me suis mis à la recherche d’un dessinateur qui  pouvait se mettre immédiatement au travail. Le festival d’Angoulême est  toujours l’occasion pour moi de dénicher de nouveaux talents. C’est  donc à Angoulême que je me suis mis en quête et c’est complètement  par hasard que je suis tombé sur des planches d’Alex Talamba. Au
cours d’un dîner de l’équipe ZOO (magazine de BD que j’avais fondé en  2005 et qui a été repris par Olivier Thierry en 2007) j’entendis parler  d’une compilation de jeunes auteurs roumains qui était proposée dans  la bulle du Nouveau Monde : « the book of George » et décidai de me la  procurer. Une vingtaine d’auteurs y étaient présentés, chacun avait  dessiné une petite histoire. A première vue, rien ne convenait, sauf
quand je suis tombé sur les planches d’Alex. C’était exactement ça ! Un  coup de crayon extraordinaire, suffisamment réaliste tout en étant très  dynamique et très expressif, avec une maîtrise incroyable du noir et  blanc qui me faisait penser à Milton Canniff. J’avais travaillé sur mon  précédent album (Rocher Rouge) avec un excellent dessinateur  (Michaël Sanlaville) ce qui m’avait rendu assez exigeant. Cette fois-ci je  cherchais quelqu’un qui ait un style un peu plus réaliste que Michaël,  moins « comique », mais avec tout autant d’expressivité.
Et avec Alex, c’était exactement ça !
  
Alex Talambă et Eric Borg au Salon du livre, Paris, mars 2012

Comment vous l`avez contacté et comment vous travaillez avec lui?

Je l’ai contacté par mail à mon retour d’Angoulême, par chance il parlait  parfaitement l’anglais. Je lui ai demandé de m’envoyer d’autres dessins  qui m’ont confirmé dans mon envie de travailler avec lui sur ce projet  (notamment sa manière de représenter la foule, ce qui était important  en vue des scènes de manifestations). Je fis suivre les dessins à Didier  à KSTR qui me répondit : « Intéressant, tu demandes un essai sur la  base de ton scénario ? ». Alex était à ce moment-là en train de terminer  son premier album (« Elabuga », ouvrage en roumain) et était libre  après ça. Le projet l’a emballé, nous avons fait quatre planches d’essai  qui étaient en bichromie. Un mois plus tard j’envoyai à Didier cet essai  qui fut concluant. Après une recherche des principaux personnages,  nous avons commencé à travailler sur les planches en avril. Les  premières pages en bichromie n’étant pas totalement satisfaisantes  nous avons opté pour la quadrichromie. Le travail a duré 9 mois. Je me  suis occupé de rechercher toute la documentation (photos et vidéos)  devant servir aux dessins, ayant déjà effectué une partie de ce travail  pour mon scénario j’étais mieux placé qu’Alex pour cela. Je me suis  occupé pour finir de la postface de l’album intitulée « aux sources de la  fiction » où je dévoile justement quelques uns des faits réels qui m’ont  inspiré et présente aussi plusieurs esquisses d’Alex.

(c) Alex Talambă şi Eric Borg

Vous pensez a re-travailler avec Alex Talamba?

Notre première collaboration s’étant très bien passée, Alex et moi avons  un nouveau projet ensemble, que nous devrions commencer très  prochainement.

Merci beaucoup, Eric Borg, et on attend avec impatience le prochain album realisé avec Tamba.


Sidi Bouzid Kids peut etre lu en ligne ici.


Niciun comentariu: